A propos de Norton

Eureka!

San Francisco, fondée en 1847, se mue, en l’espace d’un an et grâce à la découverte de l’or, de petite bourgade tranquille d’à peine 1000 habitants en un port international très animé de 25000 résidents. Une vague d’immigration déferle par navires remplis de cheminots de Chine, de marchands de fourrures de Russie, de chercheurs d’or issus des quatre coins du globe. Les cowboys y côtoient les poètes, les Londoniens victoriens y trinquent avec les prisonniers évadés d’Australie. Dans le courant des deux décennies suivantes, de nombreuses technologies voient le jour : le télégraphe sans fil, le train à vapeur, la lumière électrique, les machines volantes. A cette époque, San Francisco est l’une des villes les plus progressistes, cosmopolites, radicales et débauchées du monde.

Le quartier chaud de Sydney Town, ultra-violent, plus tard rebaptisé The Barbary Coast, constitue le principal attrait de la ville. On y trouve tous les vices imaginables : fumeries d’opium, saloons, maisons de jeu, clubs de combats, bordels gérés par des gangsters ainsi que des milliers de prostituées expédiées d’Europe afin de répondre à la demande de cette ville de la ruée vers l’or privée de femmes. Même la police craint de s’aventurer dans ces rues livrées aux bagarres, shangaïages (enlèvements d’hommes), lynchages, tortures et combats armés. Cependant, au milieu de ce lieu de perdition vit un personnage d’une dignité étonnante : l’empereur Norton Ier.

LE SEUL ET UNIQUE EMPEREUR DES ETATS-UNIS.

Joshua Abraham Norton, né en Angleterre, grandit en Afrique du Sud et émigre à San Francisco en 1849 comme tant d’autres ‘49ers (les quarante-neuvards) atteints par la fièvre de l’or.

Il devient rapidement un commerçant prospère, propriétaire d’entrepôts et d’usines mais connaît la faillite et la ruine en 1853 à cause d’une affaire de riz péruvien qui tourne mal.

On n’entend presque plus parler de lui jusqu’en 1859, lorsqu’il fait publier dans le journal local une déclaration l’autoproclamant Empereur des Etats-Unis.

Curieusement, San Francisco le soutient. Le faux empereur arpente les rues, accompagné de ses chiens, vêtu d’un uniforme de général reçu en cadeau. Il mange souvent gratuitement dans les restaurants, reçoit une loge particulière à l’opéra, voyage gratis en bateau et en train, alors que la presse relate avec joie ses faits et gestes, publie ses déclarations extravagantes et fait la promotion du mensonge.

Même lorsque Norton déclare licencier Abraham Lincoln du poste présidentiel et le Congrès des Etats-Unis nul et non-avenu, personne ne se moque ouvertement de lui ou essaie de l’enfermer. Une tentative d’arrestation par un policier pour cause de folie est immédiatement annulée par les autorités.

Quand l’empereur Norton Ier tombe face contre terre sur un trottoir de San Francisco en 1880, ne se relevant plus jamais, les habitants de la ville ont le sentiment d’avoir perdu un de leurs personnages les plus éminents. A son enterrement, plus de 10000 personnes se pressent dans les rues pour lui rendre un dernier hommage, une généreuse marque de respect de la part de cette société qui avait nourrit ses délires de façon si extravagante et grandiose.